Le Conseil Scientifique, Ethique et Prospectif (CSEP) du Parc naturel régional des Baronnies provençales, fort de 23 chercheurs éminents, joue un rôle crucial dans l’élaboration d’une vision commune du territoire. Ces experts apportent leurs savoirs aux gestionnaires du Parc, facilitant ainsi la prise de décisions éclairées et la mise en place de stratégies fondées sur des données scientifiques robustes. Afin de tisser un lien entre la communauté scientifique et le grand public, le CSEP a initié une approche innovante : organiser des rencontres conviviales dans des lieux informels tels que des bars de village ou des tiers-lieux. Pour lancer ces temps de rencontre, il a choisi d’ouvrir cette tournée des villages par un thème universel : le sol, « à la base de tout », lors de deux soirées intitulées « La Clé des sols » sur Nyons et sur L’Épine. Et pour le contenu de cette conférence accessible à tous, le CSEP a eu la bonne idée de demander à Thierry Gauquelin[1], admirateur inconditionnel des collemboles et Véronique Chalando[2], tous deux chercheurs spécialisés dans les sols, d’accompagner Jean-Jacques Brun [3]et Thierry Tatoni[4], vice-présidents du CSEP, dans ces soirées. Ils ont su nourrir ce moment avec des allégories fructueuses entre sol et cuisine, des anecdotes très imagées… la recette idéale pour nous convertir aux sciences.
Petit focus sur L’Épine, où Véronique Chalando, s’est distinguée par son approche généreusement gourmande dans la transmission des connaissances. Avec ses collègues Jean-Jacques Brun et Thierry Tatoni, elle a offert aux habitants des Hautes-Alpes une expérience éducative sensible et conviviale dans le but d’expliquer ce système complexe qu’est le sol. Bien plus qu’une simple ressource fertile, la terre est souvent comparée à cette savoureuse pâtisserie qu’est le mille-feuille en raison de sa structure stratifiée. La composition des sols est loin d’être uniforme, variant considérablement d’un lieu à l’autre et influençant directement son usage agricole. Composés de ces trois ingrédients principaux que sont le sable, le limon et l’argile, les proportions de chacun de ces composants déterminent les propriétés d’un sol et, par conséquent, son aptitude à accueillir différentes cultures.
Un adage répandu parmi les pédologues affirme qu’il n’existe pas de mauvais sols, mais seulement des utilisations inadaptées. Pour optimiser l’usage des sols, une approche patiente et analytique est préconisée. Cette méthode permet de révéler les secrets de cette ressource, favorisant ainsi une gestion durable et efficace des terres agricoles. Mais l’économie et la politique, elles, n’attendent pas. Pourtant scientifiques et habitants s’accordent unanimement sur ce point : si le modèle agricole a longtemps été basé sur la performance, il se doit aujourd’hui d’être basé sur la robustesse, une qualité qui s’acquiert avec le temps.
« Ici on n’a que de l’argile ! ». La phrase est lancée parmi le public comme une perche tendue aux scientifiques qui se doivent de réagir. Parmi les agriculteurs présents, certains révèlent une connaissance fine du sol qu’ils travaillent quotidiennement : « 40 % du sol de l’Épine est constitué d’argile, ici on est dans les marnes bleues du crétacé, et on constate qu’on a des blocages en fer et en phosphate qu’il faut compenser. » Alors Véronique Chalando répond avec des phrases clés comme elle sait les manier et qui marquent les esprits : « Vous avez un sol riche, mais radin ! ». Riche… Le mot résonne comme une qualification nouvelle aux oreilles des agriculteurs présents qui n’auraient certainement pas pensé à utiliser ce terme pour définir leur outil de travail. Jean-Jacques Brun prend le relais : « Le sol est un patrimoine inestimable et un réservoir majeur de la biodiversité. On dit couramment qu’un quart de la biodiversité de la planète vit dans le sol dont un quart seulement est connu de l’homme, et il s’agit probablement d’un euphémisme… ». Scolopendres, collemboles, acariens, sont autant d’organismes indispensables à la vie du sol. Sans oublier le ver de terre. Véritables ingénieurs du sol, les lombrics jouent un rôle primordial dans la structuration du fameux gâteau qui se trouve sous nos pieds. En creusant un réseau complexe de galeries, ils apportent de nombreux bénéfices à l’écosystème souterrain. Disposant pourtant d’un organisme rudimentaire composé de seulement dix neurones (l’homme en dispose de milliards), il n’est qu’un simple tube digestif qui parvient à créer l’essentiel, comme faciliter la croissance des racines, qui elles-mêmes vont améliorer l’infiltration de l’eau. Les galeries créées vont à leur tour optimiser la circulation de l’air en profondeur, et s’avéreront un refuge idéal pour le développement de la microflore. C’est à ce moment précis que la magie opère, cette symbiose indispensable entre les racines et les champignons qu’on appelle les mycorhizes apparaissent. Les mycorhizes agissent comme une extension du système racinaire, améliorant considérablement la santé, la croissance et la résistance des plantes dans diverses conditions environnementales. Cette diversité d’organismes, opérant à différentes échelles, permet une structuration du sol de plus en plus fine et complexe.
Alors émerge au fil de la soirée la question naturelle du labour, et une fois de plus la salle s’accorde pour dire qu’une telle organisation naturelle ne peut être entièrement reproduite par un simple travail mécanique pour le maintien d’un sol sain et fertile. Les réactions qu’offre la salle aux scientifiques invitent les intervenants à un constat encourageant : « Vous êtes des agriculteurs qui cherchez à combiner des pratiques agricoles qui soient les moins traumatisantes possibles pour la terre. C’est un chemin assuré vers une amélioration de nos milieux naturels, et c’est aussi ce qui fait à ce jour l’originalité de ce territoire que sont les Baronnies provençales. »
La rencontre s’est révélée fructueuse, attirant un public nombreux, attentif et concerné. Si Thierry Tatoni aurait secrètement aimé plus de controverses, car il s’agit selon lui « du propre de l’homme », il constate néanmoins que ces échanges surviennent à un moment opportun qu’est l’approche de la révision de la Charte du Parc, offrant une occasion précieuse de recueillir les préoccupations des habitants sur divers sujets. Au menu des prochaines soirées qui seront organisées par le conseil scientifique, les experts envisagent de mettre sur la table la question de l’eau, celle des énergies renouvelables, ou encore celle de l’agro-écologie. Et il conclut en reprenant cette tournure propre aux Parcs naturels régionaux : « Il est important de savoir comment la vie, ici, peut se réinventer ! »
[1] Thierry GAUQUELIN, est Professeur émérite à Aix-Marseille Université. Il travaille, au sein du de l’IMBE, sur le fonctionnement et la biodiversité des forêts du bassin méditerranéen. Dans ce cadre, il porte une attention particulière aux sols, à leur biodiversité, à leur préservation, mais aussi aux relations Homme-Forêt. Il a été l’instigateur et le responsable jusqu’en 2020 de la station expérimentale O 3 HP qui s’intéresse à l’impact du changement climatique sur la forêt méditerranéenne et ses sols. Il est administrateur de l’Association Française d’Etude des sols (AFES) qui rassemble les personnes intéressées par les différents aspects de l’étude des sols (chercheurs, enseignants, étudiants, techniciens, agriculteurs et tout acteur de la société civile qui par ses activités est en lien avec l’étude des sols). Il est également expert du groupe forêts de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) France où il œuvre pour une meilleure prise en compte du compartiment « sol ». Il participe enfin aujourd’hui à de nombreux comités et Conseils Scientifiques (Parcs naturels, Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel PACA, Conservatoires botaniques, etc).
[2] Véronique CHALANDO est enseignante du Supérieur en Agronomie. Docteure ès sciences de l’éducation et de la formation (éducation au développement durable, agroécologie). Ses principaux domaines d’enseignements concernent l’agronomie, la pédologie, la biologie, l’écologie, la microbiologie. Elle consacre ses recherches plus spécifiquement sur les questions suivantes : quelle agro(- )écologie dans l’enseignement ? Quel enseignement du développement durable sous changement climatique ? Quelle place des professionnels dans la formation technique ?
[3] Jean-Jacques BRUN, Vice-président du CSEP du parc naturel régional des Baronnies provençales, est docteur en écologie des sols, directeur de recherche honoraire à l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement INRAE) à l’université Grenoble-Alpes. Il est également vice-président du Conseil Scientifique du PNR de Chartreuse. Le sol et l’humus sont pour lui une composante clé de la biosphère habitable, un puits majeur de carbone, une archive environnementale et sociale, une mémoire de l’habitabilité en région de montagne. Pour lui sol, humus, humilité et humanité sont liés. Par ailleurs, depuis sa retraite, il explore la dimension écosensible portée par les sols et les forêts en vue d’atténuer l’écoanxiété grandissante.
[4] Thierry TATONI, vice-président du CSEP du Parc naturel régional des Baronnies provençales, est Professeur en écologie à l’Université d’Aix-Marseille ; membre de l’Académie des Sciences, des Lettres et des Arts de Marseille. Après avoir mis en place et animé une équipe en « écologie du paysage et biologie de la conservation », puis dirigé l’Institut Méditerranéen d’Écologie et de Paléoécologie de 2004 à 2011, il a assuré le montage et la direction de l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale IMBE (UMR CNRS/IRD/Aix-Marseille Université/Université d’Avignon) de 2012 à 2018. Actuellement il est chargé de mission CNRS pour le Dispositif de Partenariat en Écologie et Environnement (DiPEE) de la Région Sud. Son activité de recherche se concentre sur la vulnérabilité écologique et les sciences de la conservation, ainsi que sur les fonctionnalités écologiques et l’approche globale des services rendus par la biodiversité. Étant très attaché au transfert des connaissances vers les gestionnaires de la biodiversité et l’aménagement du territoire, il est membre de plusieurs Conseils scientifiques d’espaces naturels protégés (notamment président des Conseils Scientifiques du Parc National des Calanques, des PNR du Luberon et de la Sainte-Baume), vice-président de la Commission Scientifique des Parcs Nationaux de l’Office Français de la Biodiversité, membre du Conseil d’orientation, recherche et prospective de la fédération des Parcs Naturels Régionaux, du Conseil Scientifique du Conservatoire du Littoral et du Comité Régional Biodiversité Provence-Alpes Côte d’Azur